
La méthode Hadjar

04/25/2025 08:05 AM
Après avoir terminé huitième au Grand Prix Japon, Isack Hadjar est donc entré une deuxième fois dans les points en Arabie saoudite. Des résultats prometteurs, voire rassurants, après un premier Grand Prix en Australie terminé dans le mur lors du tour de formation. L’expérience aurait pu être traumatisante, mais le Parisien de naissance a prouvé sa résilience :
“ Il a déjà traversé les hauts et les bas de la Formule 1, on a donc déjà testé sa résilience, sa réaction, son reset dans les hauts comme dans les bas, a expliqué à L’Équipe Laurent Mekies, son patron chez Racing Bulls. Et tout ça, il l'a déjà. Il a très bien digéré ce qui lui est arrivé à Melbourne, avec énormément de lucidité.”
“En F1, on s'habitue à prendre des claques, la résilience dont tu fais preuve dans ces moments-là est un paramètre important et dans ce domaine encore, il est bien armé. Quant aux moments d'euphorie comma la qualif en Chine (7e) ou la course au Japon (8e), il n'est pas du genre à s'enflammer, ce qui est un indicateur de force intérieure assez important.”
Mais outre la résilience à quoi tient donc la méthode Hadjar ?
Fast and furious… and considered
En 2013, Helmut Marko, le responsable de la filière des jeunes pilotes chez Red Bull, le surnomme le “petit Prost”. Comme le quadruple Champion du monde, Hadjar est un petit modèle au ton à la fois calme et assuré, qui témoigne d’une rare maturité :
“Ce surnom me fait plaisir, confirme l’intéressé. Helmut parlait de mon visage, de ma voix et de mon côté réfléchi en piste. Je ne prends pas de risques inconsidérés. Je ne tente pas de dépassements impossibles.”
“ Je ne fais rien de stupide. J’ai dû avoir cinq crashs de la F4 à la F2. Au volant, comme dans la vie, je suis lucide et conscient. Je ne me déconnecte jamais parce qu’il ne faut jamais perdre le contrôle de soi”
Ce qui ne l’empêche pas d’avoir parfois le sang chaud – mais de plus en plus rarement :
“Concernant sa faculté à contenir ses émotions en course, notamment dans les communications à la radio, c'est une bonne surprise, explique son ingénieur de piste Pierre Hamelin (ci-dessous à droite). Je m'étais beaucoup renseigné sur son côté sanguin et on m'avait expliqué qu'il fallait être assez rigide avec lui et ne pas le laisser partir dans ce genre d'explosion.”
“Lui faire comprendre que ce n'était pas possible d'agir ainsi en F1 a fait partie de ma préparation avec lui et pour l'instant ça se passe bien. Mais il n'a pas eu d'explosion de joie non plus car seule la première place peut le satisfaire.”
Technique et humilité
Comme “le Professeur” Prost, ce féru de mangas revendique un faible pour l’approche scientifique de la course, entretenue par l’environnement où il a grandi. Son père est physicien et enseignant-chercheur ; sa mère (ci-dessous) était issue de la même filière, avant de se reconvertir dans les ressources humaines dans une grande entreprise ; sa grande sœur étudie le droit à Londres.
Quand Libération lui demande ce qui lui fait peur, il répond : “Dans la vie ? De décevoir mes parents.” Comme d’autres parents de pilotes, ceux-ci ont fait des sacrifices pour permettre à leur fiston de gravir les échelons dans un milieu onéreux. Installé à Faenza, il a visité cet hiver l’usine de Racing Bulls :
“C’était un peu gênant, dit-il. Il y a 700 employés qui travaillent uniquement sur ma voiture. Certains pourraient être mes parents. Je le savais déjà, mais ça m’a rappelé que j’étais dans une position très privilégiée.”
À la force du poignet
Chez les Hadjar on a la tête bien faite. Son père, passionné de Formule 1, n’a pas seulement transmis l’esprit scientifique à son fils, il l’a aussi initié très tôt à la discipline en l’emmenant sur les circuits de karting. Trois ans plus tard, le petit Isack fait ses débuts en compétition.
Le 23 mai 2021 marque un premier tournant dans sa trajectoire. À 16 ans, il s’impose en FRECA en ouverture du Grand Prix de Monaco, un contexte à haute exposition. Cette performance convaincante face à un plateau relevé lui ouvre les portes de la filière Red Bull, qui l’intègre à son programme de jeunes pilotes. “Je n’avais pas trop de perspectives, raconte-t-il au Monde. Quand tu es dans le programme Red Bull, tu reçois une aide financière et acquiers de la crédibilité quand tu parles aux équipes.”
La suite n’est pas un long fleuve tranquille. En 2023, il vit une première saison difficile en Formule 2. Moins bien classé que les cinq autres espoirs de la filière Red Bull, il est pourtant le seul à être maintenu. L’année suivante, changement d’équipe et changement de dynamique : il joue le titre jusqu’à la dernière manche, avant de s’incliner face à Gabriel Bortoleto.
Soif d’apprendre
Celui qui fut fasciné par Flash McQueen, le personnage principal du dessin animé Cars, quand il avait deux ans démontre une excellente capacité d’assimilation technique. Une consigne claire ne nécessite jamais d’être répétée. En plein week-end de course, il lui arrive ainsi de faire référence à un détail technique évoqué lors d’une réunion avec ses ingénieurs des moins plus tôt.
“Dès les premiers contacts, on a pu se rendre compte qu'il a les pieds sur terre, qu'il est très ouvert, humble, presque timide”, explique Mekies, ingénieur de formation passé par l’ESTACA.
“La façon et l'envie d'apprendre qu'il a montrées pendant ces quatre mois, la façon dont il a réussi à se transformer en éponge, à former son opinion après avoir écouté, c'est quelque chose qui est encore au-dessus du lot, comme le sont son énergie et sa motivation.”
Calme, rapide, travailleur, Hadjar a agréablement surpris son équipe, qui ne s’attendait pas à ce qu'il soit aussi rapide si tôt dans la saison. Hormis le fameux tour de formation, ses premiers tours à Melbourne ont révélé un niveau de performance supérieur à ce que sa maigre expérience de la F1 laissait présager, niveau qu’il a ensuite maintenu en Chine, au Japon et en Arabie saoudite (où sa qualification n’a toutefois pas été parfaite). Dans ses résultats comme dans sa manière de travailler avec les ingénieurs, il a dépassé les attentes. Avec Kimi ANtonelliet Oliver Bearman, il fait partie d'une génération douée.
Pour le jeune Parisien, la prochaine marche consistera à définir ses propres réglages, à comprendre exactement ce dont il a besoin pour aller vite partout. Nul doute que cela sera pour bientôt, au rythme où il conduit et assimile les informations. Fougueux et réfléchi, humble et ambitieux, Isack Hadjar est trop malin pour confondre vitesse et précipitation, piège dans lequel tombent de nombreux jeunes athlètes.
Même s’il court à la recherche du temps perdu en tant que pilote de Grand Prix, il a encore “la vie devant soi”, pour reprendre le titre du beau roman que Romain Gary écrivit sous le pseudonyme d’Émile… Ajar.