Joyeux anniversaire, Mika Häkkinen !
09/28/2023 04:00 AM
Bonjour Mika ! Vous avez mis les petits plats dans les grands pour AUTOhebdo ou vous déplacez-vous toujours en McLaren P1 ?
Ce que j'adore, hormis le fait qu'il s'agisse d'une McLaren, c'est que c'est une vraie voiture de sport que vous pouvez utiliser. Beaucoup de voitures de ce type ont un superbe design, mais quand vous êtes assis dedans, vous n'avez aucune visibilité. Dans cette P1, la visibilité est optimum tout le temps. Les voitures même sportives comme celle-là sont faites pour être utilisées, pas seulement regardées. McLaren a toujours compris cela. Ça a toujours été une préoccupation majeure de la marque.
On vous croit, mais vous n'allez tout de même pas acheter le pain avec…
Disons que le seul truc ennuyeux, c'est que je suis l'heureux papa de cinq enfants, et la P1 ce n'est pas fait pour les familles nombreuses. Je la sors donc le plus possible, mais en fonction de mes responsabilités familiales. Il m'arrive même de l'utiliser pour des déplacements professionnels. Pas la peine d'être tout le temps à fond, c'est une machine qui accepte fort bien que l'on roule peinard. Ce que je fais.
Dans les rues de Monaco, votre MP4/13 de 1998 n'était-elle pas plus facile à manier ?
Question intéressante. La MP4/13, c'est comme si elle avait été faite sur mesure pour moi. Quoi que je fasse avec le volant, elle était toujours précise. Tout le monde a son style de pilotage plus ou moins agressif. Certains donnent plein de petits coups de volant pour placer la voiture alors que d'autres se contentent d'un seul, mais cette MP4/13 était faite pour moi ! Pour répondre à votre question, quand il fallait vraiment y aller, tout donner, le sentiment à son volant était incroyable. Elle avait un équilibre stupéfiant. La P1 est une autre machine étonnante, mais elle ne joue pas dans le même registre.
Huit victoires en 1998 avec la MP4/13, dont Monaco, et une première couronne à son terme. Fut-elle entre toutes votre meilleure saison ?
C'est celle que j'ai le plus appréciée. La pression n'est jamais retombée cette année-là, car la victoire était toujours dans le viseur. Jamais, me concernant, la pression n'avait encore été à ce niveau. C'était différent de tout ce que j'avais expérimenté jusqu’alors. Je me défiais, je défiais le team. Lors des années où la victoire avait été hors de portée, j'avais dû me concentrer sur d'autres éléments : comment développer la voiture ? Comment la rendre plus compétitive ? Avec les ingénieurs, nous nous étions tellement battus contre les problèmes pour trouver des solutions.
Changements de décor en 1998 avec une voiture capable de gagner. D'un coup, je me suis retrouvé contraint d'améliorer la manière dont je regardais dans les rétros (rires). Je n'avais plus à brûler mon énergie pour résoudre des problèmes, mais à l'utiliser pour vaincre. J'étais désormais en position d'extraire le meilleur de moi-même, et c'est ce qui fait aussi la différence. Mon équipier Coulthard était compétitif – il l'est toujours au demeurant – et j'avais besoin d'oublier la voiture pour me concentrer sur moi-même. Quand une voiture est capable de gagner des Grands Prix, vous pouvez seulement perdre ! La faute, elle ne peut venir que de vous et vous devez puiser en vous pour aller chercher cette force mentale qui fait la différence.
Battre Michael Schumacher deux années de suite reste aujourd'hui encore un fait des plus remarquables. Avez-vous aimé votre confrontation ?
Michael… Il avait une bonne connaissance technique. Il était extrêmement concentré sur la course, polarisé même. Je l'étais aussi, mais de manière différente. Je pense que j'étais d'un caractère plus facile, plus relax. Peut-être était-ce seulement du fait de la mentalité finlandaise par rapport à celle allemande. C'était Ok pour moi. J'ai accepté ça. Pour moi, c'était fascinant de défier ce type de personnalité, et de me battre contre lui sur la piste. Il m'a vraiment poussé dans mes derniers retranchements. Quand il avait baissé sa visière, plus rien d'autre ne comptait.
Pour le battre, c'était un combat de tous les instants. Il ne lâchait rien, jamais. Je n'ai jamais vu d'autres pilotes avec une telle voracité de victoires. C'était fascinant à observer. Je me souviens d'une année, à Imola, où il avait eu un bris de montant avant, et il n'avait pas baissé de rythme. C'était impressionnant. Avoir une telle casse sur un tracé rapide comme celui-là et continuer… Chapeau ! Il n'y a pas de compromis possible si l'on veut gagner, et ça, il l'avait compris mieux que les autres. Ça prend du temps, de l'énergie, de l'argent pour éradiquer toute forme de compromis, mais c'est à ce prix que gagne une écurie. À l'inverse de la vie, il ne peut y avoir d'arrangement dans l'univers de la course. Si une écurie doit faire des compromis, c'est que son budget ne lui permet pas d'être intransigeante.
Vous avez aussi côtoyé Ayrton Senna chez McLaren. Était-il un tout autre animal ?
Non. À mon avis, sur la piste, Ayrton était très semblable à Schumacher en termes de caractère. Par contre, il avait ce grain de folie dans la vie de tous les jours que Michael n'avait pas. On s'amusait beaucoup à ses côtés, mais hors du paddock. Une fois à l'intérieur, rien d'autre ne comptait plus que la victoire, quitte à en paraître arrogant, mais ce n'était pas du mépris. Ayrton, comme Michael, voulait simplement qu'on lui fiche la paix dans son travail. Je crois que les pilotes actuels gèrent différemment cette cohabitation, parfois compliquée, entre le feu et la paix intérieurs.
Vos années McLaren sont étroitement liées à Ron Dennis. Vous arrive-t-il encore de vous croiser ?
Il a récemment fait ses adieux, à l'occasion d'une grande réception à Londres. Il tenait à remercier ceux qui l'ont côtoyé au cours de sa longue carrière en sport automobile, et particulièrement ceux avec qui il a travaillé chez McLaren. Je ne pouvais pas ne pas y être, tant il a joué un rôle important dans ma carrière. Attention, ce ne fut pas toujours facile entre nous. Combien de fois m'a-t-il reproché de ne pas travailler assez. Il m'en a fait voir, mais il en avait le droit. On a dit que j'étais son protégé, mais Ron ne m'a jamais regardé comme une star, juste comme un élément du succès. Beaucoup de choses positives et négatives se sont passées au cours de mes années McLaren, et il a toujours été à mes côtés. Il est aussi devenu émotionnellement impliqué après mon accident à Adelaïde en 1995 (c’était la première fois depuis la disparition de son créateur Bruce McLaren que l’écurie était aussi durement touchée. Ndlr). Avec Ron, il y aura toujours ce lien.
Pourquoi vous être arrêté fin 2001 ? Vous auriez pu enchaîner facilement quatre ou cinq saisons de plus…
Facilement, c'est le bon mot. Piloter une F1 était physiquement facile pour moi, mais je ne voulais pas devenir le meilleur deuxième. J'ai voulu partir alors que j'étais encore capable de gagner des Grands Prix. Aussi, mon accident m'avait pris beaucoup de mon énergie, beaucoup de ma capacité mentale à endurer les contraintes de ce métier. J'étais vidé avant l'heure en quelque sorte. Ce n'était pas physique, mais psychologique. Je suis presque revenu quelques années plus tard (discussions avec Bar et Williams en 2004, et encore avec McLaren en 2006. Ndlr). J'avais rechargé mes batteries, et j'en avais marre de ma nouvelle vie. J'étais encore assez jeune, plutôt en forme et solide, mais ça ne s'est pas fait. Je crois que ce n'est pas plus mal en définitive.
L'après-F1 a été difficile ?
Oh oui, ça n'a pas été facile. Avant de stopper, je savais déjà que ça allait être difficile. Le challenge, c'est de trouver les bonnes personnes. Comme en F1 où vous travaillez pour trouver le plus de performance dans la voiture, le moteur, la boîte, l'aéro avec des gens qui parcourent le monde, ces personnes laissent leur famille derrière, travaillent comme des damnés. C'est un sacrifice ! Il faut trouver les personnes avec le bon caractère, et c'est la même chose dans la vie normale. Ce n'est pas écrit dans les livres, ce qu'il faut faire pour assembler les pièces du puzzle. Il faut un peu d'expérience pour y parvenir. Ça m'a pris du temps pour comprendre la valeur de la famille, des amis, des partenaires de travail, du lieu où vous vivez. Ça prend du temps, et ce n'est pas plus mal. Il faut vivre sa vie avec ses bonheurs, ses peines, ses réussites et ses échecs. Le monde actuel a cela de bien qu'il offre les outils pour apprendre.
Votre outil à vous, c'est encore aujourd'hui votre expertise de pilote.
Oui, l'expérience est ce que la F1 m'a donné et je la convertis pour être le meilleur ambassadeur pour des sociétés aussi diverses que McLaren, Nokian Tyres, Johnny Walker, Unibet, UBS, Laureus World Sport, Luxury Action. J'ai aussi mes projets plus personnels, comme l'application INZDR qui apporte un vrai plus dans l'univers des médias sociaux. Pour réussir dans la vie, il faut travailler dur à l'école, mais aussi écouter et apprendre des autres. Les médias sociaux peuvent servir de plateforme de rencontre entre ceux qui ont soif de faire partager leur expérience et ceux qui ont soif d'apprendre.
INZDR est une plateforme de contacts « Premium » qui va permettre à des sportifs, des hommes d'affaires, des musiciens, etc. de faire partager leur expérience. Chez McLaren, par exemple, de par mon rôle d'ambassadeur, je suis en contact avec les fans de l'écurie et les clients. Aucun d'eux ne se doute de toutes les choses plus ou moins folles que l'on a testées pour gagner. Je me régale à leur raconter toutes ces histoires qui aident aussi à comprendre ce qu'est la vraie vie d'une écurie, la vie de la F1, et c'est justement ce qui m'a donné l'idée de cette nouvelle application où les gens peuvent écouter des histoires. Et apprendre. Des clients m'ont avoué qu'ils avaient appris des choses qu'ils allaient appliquer à leur propre société. L'expérience, ça n'a pas de prix !
À propos d'expérience, mettez-vous toujours la vôtre au service de Valtteri Bottas ?
Oui, je fais partie de son team de management. Je suis fier de la manière avec laquelle il se challenge en F1. Ça ne veut pas dire que mon quotidien est lié à Valtteri, car le plus gros du travail est fait. Maintenant, c'est à lui de montrer ce dont il est capable, de se développer avec l'écurie, d'être un jour le n°1. Nous sommes des piliers autour de lui sur lesquels il sait pouvoir s'appuyer. Il ne sera jamais seul.
Avoir Lewis Hamilton comme équipier, est-ce la pire des choses que puisse endurer un pilote ?
Non, c'est la meilleure. Valtteri a la chance de pouvoir se comparer directement au numéro 1, et il a montré l'an passé qu'il pouvait le battre. Lewis a une énorme expérience en F1. Beaucoup de bonnes et mauvaises choses lui sont arrivées. Valtteri, lui, n'a passé qu'une seule saison dans un top team. S'il est capable de poursuivre sur le même rythme de développement, il prendra la mesure de Lewis et marchera dans ses traces.
Et vous, qui marche dans vos traces ? L'un de vos cinq enfants ?
Pas Hugo, mon fils aîné qui va avoir 18 ans cette année. Il est à fond dans les études et son sport est le football. Aina, qui a 13 ans, est une fantastique jeune fille avec beaucoup de caractère, mais peu d'intérêt pour la chose automobile. Ella, 7 ans, a une brillante personnalité. Quand je la vois, je ne peux pas m'empêcher de sourire. Et puis, il y a les jumeaux Lynn et Daniel, fille et garçon de 4 ans, qui testent actuellement la patience de papa et maman. Seront-ils un jour intéressés par le sport automobile ? Qui sait. Daniel aime les voitures, mais je le laisse vivre sa vie. C'est trop tôt pour le karting et la maman n'est pas trop pour… Le sport automobile, c'est trop dangereux !
Si elle a visionné votre dépassement de Schumacher à Spa en 2000, on ne peut pas la blâmer…
Celui-là, personne ne l'a oublié. Moi non plus ! Une sacrée bagarre contre Michael où j'ai eu la chance d'avoir ce retardataire (Ricardo Zonta au volant de sa Bar. Ndlr) en ligne de mire. Sans lui à cet endroit-là, à ce moment-là, je n'aurais jamais pu doubler. Un moment magique, mais je ne l'aurai jamais tenté deux fois.
Il faut des c… pour tenter ce genre de manœuvre. Est-ce que le monde des affaires en réclame autant ?
Il en faut, mais vous avez plus de temps pour réfléchir. Vous pouvez partager votre processus de décision. En F1, vous êtes seul et vous n'avez qu'une fraction de seconde. Parfois, vous avez tout bon. Et d'autres fois tout faux. Le plus dur en termes de pilotage, c'est la constance. Comment faire qu'un virage soit le même à chaque tour ? On peut paraître mieux, mais on perd du temps. À force de traquer la limite, on perd la constance.
L'aimez-vous, la F1 actuelle ?
La F1, c'est « flat out » ! Ça, ça n'a pas changé. Par contre, ce qui me choque, c'est le manque de tests. C'est dramatique pour les écuries qui ne peuvent pas se sortir de leurs problèmes quand ils sont d'importance, et c'est dramatique pour les pilotes. Les jeunes ne peuvent pas acquérir l'expérience que seuls les kilomètres couverts offrent, et les vieux se font chier. Un pilote, c'est fait pour rouler. À votre avis, pourquoi Alonso veut-il faire du WEC, aller au Mans, etc. C'est parce qu'il veut piloter et que la F1 ne lui permet plus d'avoir la dose de pilotage que son corps lui réclame. Il va trouver sa came ailleurs.
Sa came, c'est aussi la victoire. McLaren peut-elle renouer rapidement avec le succès ?
Les gars savent pourquoi la performance n'était pas là. Une nouvelle fois, si vous ne pouvez pas tester, vous ne pouvez pas vous sortir de vos problèmes. C'est le gros problème de la F1 actuellement. Aujourd'hui, une écurie qui a le type de problèmes que McLaren sait dès les essais hivernaux que sa saison est fichue. Néanmoins, l'an passé, à chaque fois que j'allais à l'usine et que je voyais certains de mes vieux mécaniciens, je leur disais avec le plus d'énergie possible dans la voix : « Allez les gars, on en a vu d'autres. Dès que ça va cliquer de nouveau, personne ne pourra vous arrêter. » Avec Renault, ça va cliquer de nouveau !
Propos recueillis par Jean-Michel Desnoues
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