Sabrina de Castelli : « Le rallye, c'est toute ma vie »

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Sabrina, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis née à Ajaccio il y a 51 ans, domiciliée près d’Aléria, licenciée à l’ASA Restonica. Je suis comptable à la base, mais j’ai plus fait de logistique et de rallyes que de compta dans ma vie. (Rires)

La passion du sport auto remonte à l’enfance ?

Pour moi, il s’agit plus d’un mode de vie que d’une passion. Le rallye, c’est toute ma vie. Un jour, mon frère est allé faire du kart avec mon père et je les ai accompagnés… J’ai même gagné une course en Cadets devant les garçons ! À l’adolescence, mon père, qui faisait du rallye, m’emmenait en reconnaissances, je lisais les notes et ça m’a tout de suite plu. Pour le Tour de Corse, on dépliait la carte, on étudiait les consos. On dressait un vrai plan d’assistance. Je préparais tout avec mes pastilles autocollantes. Sans le savoir, à 12 ans, je faisais de la logistique.

Vous avez débuté en 1992 comme copilote avec une victoire de classe dès la première saison !

À 18 ans, j’ai eu mon permis, mais il n’était pas question pour ma mère de m’aider à faire du rallye. Ça m’a encore plus motivée à réussir. À l’époque, c’était un milieu de machos, je trouve génial la chance qu’on donne aujourd'hui à Sarah Rumeau et Julie Amblard. Elles le méritent. J’ai effectué mon premier rallye à la Giraglia avec un ami sur une R5 GT turbo. Mon deuxième, c’était le Tour de Corse avec quatre jours de course… C’est l’année où la tribune du stade Furiani est tombée (faisant 19 morts et 2 357 blessés. Ndlr).

En 1997, Jean-Michel Pietri vous fait confiance.

Je voulais rouler un jour avec un pilote comme lui. Il m’a appelé pour Corte. On est tombés en panne de radio, je lui ai annoncé les notes avec les doigts, comme je pouvais. En sortant de la voiture, il a fait comprendre à tout le monde que je copilotais vraiment, contrairement à ce que beaucoup pensaient…

Après un podium au Rallye de la Balagne en 1999, place aux premières expériences internationales avec Brice Tirabassi…

Peugeot Sport avait mis à notre disposition une 306 Gr. N au Monte-Carlo. On n’avait pas pu reconnaître le Turini avec Brice. Pourtant, dans la nuit, on récupère 3 minutes dans cette ES et on gagne notre catégorie ! En Espagne, on y était avec une 106 S16. C’était mon premier rallye à l’étranger. J’ai demandé à « Coco » Chiaroni (célèbre copilote d’Yves Loubet, Bernard Béguin et Philippe Bugalski. Ndlr) de m’aider. Il a regardé ce que j’ai préparé et m’a dit « tu peux y aller ! ». L’ambiance était exceptionnelle, on se serait cru dans un stade de foot.

En 2004, vous remportez la manche du Volant Peugeot au Var.

Avec Fabien Fiandino, on faisait de bons rallyes, souvent en tête, mais on avait du mal à finir. (Rires)

On vous retrouve, tous les deux, en 2006 sur deux manches mondiales avec un Top 5 en JWRC en Grande-Bretagne. Racontez !

Citroën, avec Guy Fréquelin (alors directeur de la compétition. Ndlr), nous avait pris sous son aile. On a pu faire toutes les recos du Mondial. Malheureusement, en fin d’année, Fabien m’a annoncé sa décision d’arrêter. J’ai pris un gros coup sur la tête. On devait partir en Mondial l’année suivante, mais il n’avait plus l'envie.

En 2007, vous évoluez à côté de nombreux pilotes. Ce n’était pas difficile de vous adapter ?

Je suis comme les chats, je retombe toujours sur mes pattes ! Les notes les plus compliquées étaient celles de Pascal Mackerer. En recos, je me demandais à quoi ça correspondait, car il n’a pas de chiffres, par exemple. Finalement, en course, son système était clair, on a terminé 5e de la coupe Peugeot à Antibes.

En 2009, avec Pierre Campana, vous terminez 3e de la Suzuki Rallye Cup avec trois victoires…

Pierre, c’est le cousin de Henri-Marc Venturini, il nous suivait quand on roulait. La première année, je lui ai dit « non, je ne monte pas dans cette « cacahouète » ». La deuxième année, il m’a convaincu et on a fait cinq rallyes, donc trois victoires, deux sorties. Il a un sacré coup de volant, mais ce n’était pas toujours facile de tenir le pur-sang. (Sourire)

Grosse saison 2010, 4e du championnat 2RM en IRC, 5e en 2RM en Italie, une victoire en Championnat Junior en Italie avec Campana !

On n’était pas souvent à la maison, on sautait d’un rallye à l’autre, ce sont de super souvenirs. Le Monte-Carlo, le San Remo, c’était top ! Quant au Barum, cela reste l’un des rallyes les plus dangereux auxquels j’ai participé.

En 2011, victoire en 2RM en IRC au Monte-Carlo avec Campana, 2 victoires en Championnat de France (Mont-Blanc et Cévennes) ainsi que deux à l’étranger (Italie, Angleterre). La période est folle !

C’était nos premiers tours de roue avec la Mini Countryman S2000. Grand souvenir aux Cévennes, une pluie torrentielle s’est abattue avant le départ et mes deux lecteurs de cartes sont tombés. Gros coup de stress et système D, j’ai lu mes notes à la lampe frontale.

En 2012, vous terminez 3e du Tour de Corse (IRC) avec Pierre Campana. On imagine une émotion particulière ?

Oui, mais ce rallye, on aurait dû le gagner ! On a cassé le pont dans la dernière et Dani Sordo s'impose devant Jan Kopecky. Mon regret est de ne pas avoir pu inscrire à nouveau le nom d’un Corse comme vainqueur du Tour. C’est un rallye magnifique.

En 2015, première victoire féminine avec Charlotte Berton !

C’est la première fois que je copilotais une femme. On a fait un scratch en coupe Clio dans la longue spéciale du Rouergue et on termine premières féminines au Mont-Blanc avec la Porsche 997 GT2. Mais c'est le moment oùl’on a perdu Fred Comte (accident mortel dans l’ES2. Ndlr). Cette année, à Aléria, son fils Valentin a ouvert notre épreuve. Ça ne s’explique pas, j’avais besoin de dire à Fred : « Tu vois, on est là ! ».

2016, nouveau pilote et succès avec un certain François Delecour !

On a gagné le Rallye de Grasse VHC avec une Audi quattro. Avec François, on a fait le Monte-Carlo avec la Peugeot 207 S2000 (9e catégorie. Ndlr). Doumé (Savignoni. Ndlr) avait décidé d’arrêter et François m’a demandé de le remplacer. Je lui ai répondu : « Jamais de la vie ! », avec nos caractères on va se « friter ». Mais on est tellement passionnés, on se donne à fond. François est un super mec et un super pilote. On a fait des passages de fous. J’adore rouler avec lui.

C’est aussi l’année de votre grave accident au Liban. Pouvez-vous nous en parler ?

Oui, ça fait partie de ma vie. J’ai toujours voulu faire ce rallye. Je suis rentrée paraplégique, mais j’ai eu une prise en charge incroyable. Les Libanais ont fait tout ce qu’ils ont pu. Durant les 45 minutes d’ambulance pour aller aux urgences, je ne sentais plus rien. Quand le médecin m’a dit qu’il allait faire son maximum, je lui ai demandé quand j’allais refaire du rallye… Je m’étais déjà projetée.

Et ensuite ?

J’ai été réopérée trois mois plus tard à Marseille. Je ne savais pas si je remarcherais un jour, mais le physiothérapeute m’a dit que moi seule pouvait remettre la machine en route. À ce moment-là, il a déclenché quelque chose dans mon cerveau. Je reste handicapée à vie, avec le syndrome de la queue de cheval (douleur intense dans le bas du dos et perte de sensation dans toute cette région. Ndlr), ce n’est pas facile. J’ai travaillé dur pendant dix-huit mois pour remarcher. Ça a été une épreuve sur ma route, il y en a eu d’autres après, plus dures. J’ai perdu ma maman en 2020, après mon papa en 2015. Mon accident m’a peut-être donné la force de continuer à avancer. Je n’ai qu’une envie, retourner au Liban, retrouver Gilbert (Bannout, le pilote. Ndlr).

Dès 2018, c'est la reprise au « Charbo » en qualité d’ouvreuse avec Charlotte Berton. On ne vous arrête jamais !

Nous nous sommes régalées. On a aussi fait deux années de suite le Tour de Corse en voiture 000. Ma seule préoccupation avait été de retrouver le sport auto.

C’est aussi l’année où vous débutez une collaboration en Historique avec Abdullah Al-Thani. Comment rencontre-t-on un prince du Qatar ?

C’est marrant. Je l’ai rencontré avant mon accident, lorsque j’ai fait le Tour de Corse en 2015 avec Claude Picasso, le fils de Pablo, en Historique. Après le Prologue, il me dit que le prince du Qatar fait un apéro et qu'il nous invite. J'ai tapé sur l’épaule d'Abdullah en lui demandant comment s’était passée sa journée, ça l’a fait rire. Ce n’est pas un prince que j’ai rencontré, mais un pilote. En 2018, j'étais à l’arrivée du rallye du Maroc, car « Doumé » le faisait. Là, Abdullah m’a tapé sur l’épaule pour me dire que lorsque je referai du rallye, ce serait avec lui. Depuis, ça roule ! Je l’ai fait évoluer, on s’amuse, il a atteint un bon niveau.

En 2020, on vous retrouve au côté de Florent Todeschini. C’est votre « poulain » ?

Plus que ça, c’est comme mon fils. On a fait la Giraglia en Fiesta R2J, il m’a dit qu’on aurait pu faire Vidéo Gag… On s’était rencontrés sur Rallye Jeunes, je m’occupais des copilotes, j’adore m’occuper des jeunes. Nous avons sympathisé. En fin d’année, quand j’ai été réopérée du dos, un 24 décembre à Marseille, il est venu me voir à l'hôpital. Il n’avait plus de programme. On a fait le premier briefing dans ma chambre tous les trois avec « Doumé » et on l’a remis en selle.

En 2022, retrouvailles avec Pierre Campana pour une victoire à Corte et une 4e place aux Cévennes.

Corte, c'était un grand moment, on n'avait pas roulé ensemble depuis dix ans, on n’attendait que ça. Pierre, c’est plus qu'un ami, c'est la famille.

En 2023, victoire en Masters Cup au Monte-Carlo avec Delecour, aux Cardabelles avec Todeschini, et à la Sainte-Baume avec Antoine Leclerc…

Il y a aussi la victoire en VHC au Var avec « Todesk » ! Ce sont mes pilotes de cœur. Avec François, on a fait le Monte-Carlo dans de super conditions et signé un top résultat (10e WRC2. Ndlr). Avec « Todesk », j’avais la pression de faire les Cardabelles en Rally2. On gagne, c’est l’apothéose. Il pleurait à l’arrivée, j’étais trop contente. C’était une double victoire pour moi, avec celle d’être revenue à ce niveau à 50 piges.

Comment se présente la saison 2024 ?

Mon pilote prioritaire, c'est le prince Al-Thani, en VHC. On a fait Aléria (2e), on sera au Lahti, Mont-Blanc, Vaucluse.

Un dernier mot sur votre implication dans l’organisation. Vous vous ennuyiez ?

(Rires). Vous ne croyez pas si bien dire ! Pendant le confinement, avec « Doumé », comme des millions de Français, on était coincés à la maison. On s'est dit : « Si on organisait un rallye ? » On a fait un timing, les cartes… La 2e année, on a obtenu le Championnat de France Terre, nous avons eu des retours incroyables. Notre priorité est la sécurité, c'est un rallye difficile, mais pas dangereux. L’équipe d’implantation fait un travail de fou.

Et la suite ?

J’aimerais faire une épreuve asphalte en Championnat de France et l’organiser une semaine après le Terre. On pourrait faire la fête plus longtemps avec les équipes. C’est important de faire la fête !

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