L'hommage d'Hervé Poncharal à Monsieur Jean-Louis Guillou

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Suite au décès de Monsieur Jean-Louis Guillou, Hervé Poncharal, son bras droit pendant 10 ans, nous a partagé ses sentiments.


Hervé Poncharal, on a bien sûr vu le message publié par Tech3 après le décès de Monsieur Jean-Louis Guillou, et on vous sait particulièrement ému par cette nouvelle puisque c’était quelqu’un qui a été très important pour vous… 

« Oui, c’est vrai que depuis vendredi en début d’après-midi où on a appris la triste nouvelle, je suis triste, je suis ému, et évidemment je ne peux pas m’empêcher de penser à Jean-Louis Guillou qui est parti. Je l’appelais toujours Monsieur Guillou d’ailleurs, je ne l'appelais pas Jean-Louis, et à chaque fois que j’y pense, parce que c’est encore tout nouveau, je n’arrive pas à me faire à l’idée qu’il est parti. Et quand j’y pense, sont associés tous les souvenirs qui sont liés à l’époque où je travaillais avec lui, des souvenirs magiques. C’est clair que, comme je l’ai déjà dit quelquefois, Monsieur Guillou, c’est quelqu’un qui a été excessivement important pour la moto en France, pour la moto de compétition en France aussi, et pas qu’en France. Et ça a été quelqu’un de capital dans ma vie professionnelle, dans mon engagement dans la compétition moto. Je l’ai dit, et ce n’était pas seulement en un clin d’œil, c’est une réalité.  

Fin 82, début 83, le Japon avait clairement décidé de faire grossir ses activités racing pour promouvoir le road racing, les courses sur route, car il y avait une nouvelle architecture moteur, une nouvelle technologie, qui était le V 4. Et pour supporter le lancement du V 4, la la compétition était bien l’outil numéro un. Plus dans les championnats tout-terrain auxquels on était impliqué en tant que Honda France, les rallyes africains, avec un point d’orgue, les monocylindres commençaient à tirer la langue sérieusement face aux bicylindres BMW, et donc on allait assister à la création une ou deux années plus tard, de la NXR Honda. Donc Monsieur Guillou a décidé d’augmenter son staff du service compétition, puisqu’il était directeur du service compétition de Honda France, tête de pont directs de Honda Motor et de son service course qui s’appelait HRC, et il a décidé d’embaucher Guy Coulon comme directeur technique et ma pomme, Hervé Poncharal, comme son adjoint. Mon titre, c’était adjoint du directeur du service compétition. Et donc quand il a embauché Guy et moi, évidemment, Monsieur Guillou a été le trait d’union qui a fait que Guy et moi, on s’est retrouvé à travailler ensemble, à se connaître, et même si on a fait une petite décennie avec Monsieur Guillou, une décennie plus tard Guy et moi avons décidé de quitter le navire Honda France pour voler de nos propres ailes, et créer Tech3. Donc si on veut faire un petit raccourci, je pense que Jean-Louis Guillou, quelque part, c’est lui qui est à l’origine de la rencontre et de l’association Hervé-Guy, et quelque part c’est notre parrain. 

Et si on a fait Tech3, c’est aussi parce qu’on a beaucoup appris au contact de Jean-Louis Guillou. Il nous a appris la rigueur, l’honnêteté intellectuelle, le respect des gens avec qui on travaille, des sponsors et des constructeurs, et à avoir un lien fort avec les pilotes.Quand on commence la compétition, qu’on est jeune comme moi je l’étais à l’époque, on adore la course, dans la journée on travaille et le soir on est une bande de copains qui a tendance à vouloir s’amuser. C’est l’image un peu du continental Circus dans les années 60/70. Monsieur Guillou, il m’a appris que la compétition, quand on arrive à un certain niveau, qu’il y a une usine engagée derrière, des partenaires qui investissent des montants financiers importants pour retirer une image de marque positive, et il faut que tout soit organisé, que tout soit cadré et que tout soit géré de manière professionnelle et sérieuse. Et c’est tout ça qu'il m’a appris. Au début, puisque j’avais couru et on s’était rencontrés quand j’avais gagné le guidon ACO qui était sponsorisé par Honda, j’étais encore un peu pilote dans ma tête quand j’ai commencé à travailler avec lui. Et un jour j’ai dit "je ne pourrais pas, le lundi après la course, essayer les motos et faire un petit tour ? », parce que j’en rêvais encore. Et il m’avait dit une chose qui m’a marqué mais qui était très importante pour moi, "Hervé, on est d’un côté ou l’autre du muret ! Ou on est du côté du muret où on prend les chronos, et c’est le management, ou on est sur la piste et on est pilote, mais on ne peut pas faire les 2". Et ça m’avait marqué. A l'époque, sur le coup, je me suis dit que mon chef n'était pas très sympa. Puis j’ai compris et je m’en souviens beaucoup de cette chose-là, qui m’avait beaucoup marqué. Il m’a appris la rigueur, on ne peut pas être touche-à-tout, et même si à l’époque il y avait encore un côté un peu rock and roll, il devait y avoir au sein de tout ça une organisation millimétrée. 

J’ai beaucoup appris de lui, beaucoup, beaucoup, beaucoup. Et c’est clair que c’est lui qui m’a fait rentrer dans ce domaine du management de la course, directement dans une écurie officielle qui était l’écurie officielle Honda France qui étaient le prolongement de l’engagement du Japon, le bras armé du Japon dans l’endurance et les rallyes africains. Il m’a fait connaître évidemment beaucoup de gens, beaucoup de pilotes, beaucoup de sponsors. Grâce à lui, quand il y a eu l’accord Rothmans international avec Honda Motor International, j’ai pu rencontrer les gens de chez Rothmans, je connaissais les gens de Honda au Japon, et la première saison de Tech 3, ça a été avec Rothmans et avec Honda, donc c’est clair qu’il y a une continuité entre ce qu’on faisait chez Honda France et les premières saisons de Tech3. 

Donc Monsieur Guillou, c’est mon papa professionnel, c’est mon parrain et c’est le parrain de Tech3. » 

 Alors d’accord, professionnel, rationnel, oui, mais aussi valeurs humaines, parce que vous n’avez pas vraiment subi un entretien d’embauche avant qu’il décide de faire de vous son adjoint… 

« Monsieur Guillou, je l’avais rencontré pour la première fois quand j’ai gagné le guidon ACO Honda, durant l'hiver 51-82, donc je devais avoir 25 ou 26 ans. il y avait un repas pour célébrer tout ça, et j’étais assis à côté de Monsieur Guillou, donc j’étais hyper impressionné et tout. Mais on avait déjà un peu échangé parce que j’avais passé le déjeuner avec lui. Et puis aux 24 heures du Mans 82, les Honda officielles, les derniers 4 cylindres, elles cassent toutes, et la première Honda, ben c’est la Honda que je pilotais. Et donc sur 24h00 il avait dû faire 18 heures dans notre box, et on s’était un peu connus, oui. Donc il me connaissait, je le connaissais, mais j’étais hyper impressionné. Et quand il y a eu justement, un an plus tard, cette envie, enfin ce besoin de Honda Motor d’étoffer la structure Honda France, il se souvenait de moi, évidemment. Et si, il y a eu quand même un entretien d’embauche. Il m’a appelé, il n'y avait pas de portable à l’époque, donc je ne me souviens même plus comment il a eu mon numéro, et il m'a dit demandé si je pouvais passer le voir. Donc moi j’étais tout tremblotant parce que c’était chez Honda France qui venait de s’installer à Marne la vallée à l’époque, c’étaient des locaux magnifiques. C’était au mois d’octobre, je crois, il y avait la pleine préparation du Dakar et donc il courait partout, on l’appelait sans arrêt, donc moi j’étais là dans un petit coin, à attendre qu’il trouve le temps pour me recevoir. Et je me souviens toujours, il avait un bureau assez grand, il avait un fauteuil comme on a derrière ce genre de bureau, et en face il y avait un petit strapontin sans dossier. J’étais assis sur mon petit tabouret, entre guillemets, et j’ai eu un petit entretien avec lui, mais très sympa. Je pense que dans sa tête, c’était déjà fait. Et moi, dans cet entretien, je me dévalorisais presque, parce que je lui disais "mais pourquoi vous me prenez moi ? Je n’ai pas d’expérience. Est-ce que je serai vraiment à la hauteur ? Voulez faire votre adjoint, mais moi je n’ai jamais géré une écurie de compétition, un programme de compétition, etc." Et il me dit "justement, je vous ai pris pour ça, parce que vous êtes jeune, parce que vous n’avez pas d'à priori, et je vous ai vu et j’ai envie de bosser avec vous". Voilà. Quand je suis parti là-bas, j’étais heureux, mais d’un autre côté, j’étais inquiet parce que je me demandais vraiment si j’allais être à la hauteur. Mais il y a eu un entretien quand même, et après j’ai passé quasiment 10 ans où vraiment on vivait énormément de choses ensemble. Par exemple, tous les midis, c’était sa bulle d’oxygène, on ne mangeait pas à la cantine, on mangeait au petit aérodrome de Lognes, à l'Air Pub.Donc j’ai passé du temps avec lui, à partager beaucoup, beaucoup de moments où on parlait évidemment de boulot, mais on parlait aussi d’autres choses. Il me parlait de la Normandie à l’époque, de ses fleurs, moi je lui parlais de mon Var natal. Et oui, j’ai passé 10 ans, vraiment très, très proche avec lui. Je pense qu’il passait plus de temps avec moi qu’avec sa famille, et vice-versa. Monsieur Guillou, c’était quelqu’un qui était charismatique, mais c’est une des rares personnes au monde que je n’aurais jamais pu tutoyer. Quelque part, il y avait une espèce de pudeur, comme font certaines personnes de cette génération-là peut-être plus encore. Il y avait toujours une distance. Je t’ai dit que je mangeais tous les midis avec lui, tous les jours avec lui, mais il y avait toujours cette distance. On se vouvoyez mutuellement.  

Enfin, une dernière chose, quand on a quitté Honda France, on a créé Tech3 et on ne se voyait plus beaucoup. On ne s’est pas quittés fâché du tout, mais nous on était à fond dans notre aventure. En plus, physiquement, on était passé dans le Var, lui était toujours à Marne la vallée, donc on se voyait moins. On s’appelait, mais on ne se voyait plus. Mais il y a eu un moment où il a décidé de vendre la Normandie pour venir s’installer et habiter dans le Var, au Beausset. Et je l’ai revu dans les années, je dirais 2010, à la Sunday Ride Classic. Et je l’avais trouvé différent. Il n'y avait plus ce côté avec la retenue. A un moment donné, je ne sais même pas si une fois il ne m’a pas tutoyé. Je pense qu'en vieillissant il y a plein de retenues qui s’en vont, et on se dit qu'il faut aller à l’essentiel et on a peut-être moins de filtre entre ce que son cœur a envie de dire et ce qui sort de sa bouche. Ça m’avait beaucoup plus. Quand je l’avais quitté, c’était mon chef, c’était Monsieur Guillou, respect incroyable, mais avec toujours une certaine distance. J’étais toujours sur mes gardes quand j’étais quand j’étais avec lui.  Et là, à la limite, je l’aurais pratiquement pris dans mes bras et discuter avec lui. On a rigolé un peu plus qu’avant.  Ça m’a fait plaisir de voir ça et de vivre ça avec lui, même si c’était relativement fugace.  

En tout cas, je suis très triste et très ému d’en parler encore maintenant, et oui, comme je l’ai dit, c’est Merci infini et éternel pour tout ce que je lui dois. » 

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